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Just A Flic
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Just A Flic
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26 juin 2008

Toute première fois

Quand je me pose et que je regarde en arrière, je me demande comment j'ai pu supporter certaines situations qui paraîtront aux yeux des non initiés terribles, horribles, invivables, insupportables. Certaines situations vous mettent quatre des cinq sens en émoi (sentir, toucher, entendre, voir). Je n'ai jamais flanché sur une l'intervention au point de devoir quitter les lieux. Mais après tout ça, c'est une autre histoire...
Je vais vous raconter la première intervention qui a mis le feu à quatre de mes sens. Je vais vous la raconter telle qu'elle me revient, en tentant de faire revivre sur mon clavier ce que j'ai vu, entendu, senti, touché. Il se peut que ce récit soit buvable, tout comme il se peut qu'il vous dégoûte. Libre à vous de le lire.

J'étais jeune Élève Gardien de la Paix en stage dans un commissariat. Dieu comme j'étais fière et honorée de porter cette tenue si longtemps convoitée. Je trouvais qu'elle était seyante, très bien ajustée, et que j'avais un cacher d'enfer. Je n'avais plus qu'une hâte, aller sur le terrain avec "mes collègues", ces flics titulaires bossant en commissariat et régnant sur la voie publique.
Je suis sortie en patrouille avec deux vieux briscards, des vieux de la vieille qui connaissent leur ville par coeur et tous les trésors qu'elle cache. Ils étaient toujours de bonne humeur et l'arrivée d'une petite jeunette n'était pas pour leur déplaire. Du sang frais, ça fait du bien. Une petite nana quand on est un vieux loup encore plus.
Notre équipage a été appelé pour se rendre au bord du fleuve pour une découverte de cadavre. J'étais surexcitée à l'idée de découvrir mon premier vrai macchabée, et je n'ai pas été déçue. Sur place, les pompiers nous attendaient.

Mon premier sens en exergue? La vue.
Je voyais dans l'eau une sorte de poupée gonflable tellement gonflée qu'elle est prête à exploser, flottant au gré des vagues. Et en y regardant de plus près, il s'agissait en fait d'un corps humain reconnaissable au tronc supplanté d'une tête et de quatre membres. Le corps était énorme, le ventre prêt à exploser. Ce corps flottait sur le dos. Ses membres semblaient détachés du corps mais retenus par les vêtements gorgés d'eau dont il était vêtu. Si bien que les membres pouvaient se mouvoir au gré du courant, comme un danseur de hip hop qui fait des effets de bras. Il devait s'agir d'une femme car les cheveux étaient long. Elle avait les cheveux bruns. Ses orbites éteint vides, ses yeux avaient vraisemblablement été mangés par les poissons. Je pouvais compter les couches de dermes au niveau de ses mains: le bout de ses doigts avait été grignoté, laissant voir l'os qui compose la dernière phalange, puis au fur et à mesure que l'on remontait, on pouvait compter les couches de peau successives qui se détachaient lentement. Il en était de même pour les extrémités des pieds.

Le second sens titillé? L'ouïe
Les collègues rigolaient je ne sais pour quelle raison. Peut être par ma curiosité malsaine qui m'obligeait a allait encore plus près et faire des commentaires du genre "Oh regarde! T'as vu? Beurk..." C'était mon premier macchabée! Ce moment ne devait'il pas être jouissif pour la jeune bleue que j'étais, moi la flic junior qui découvre?
On racontait des blagues débiles pour ne pas avoir à faire place à ce que nous ressentions tous vraiment. Un collègue a proposé de pousser le corps un peu plus loin pour shooter l'affaire au commissariat compétant sur cette portion de fleuve, et on a rit en imaginant la tête des citoyens lambda qui nous auraient regardé passer avec notre noyé en bout de perche un jour de marché.
Et puis, on a appris par la station directrice que le corps trouvé pouvait correspondre à cette femme disparue il y avait environ 6 mois, femme dépressive a tendance suicidaire, laissant derrière elle deux enfants et des parents paumés qui ont déclarés sa disparition. Alors par respect, on a cessé de rire, et l'ambiance était devenue tellement glauque qu'un collègue a sortit une blague débile à laquelle nous avons tous sur-renchérit, histoire d'oublier la misère de cette pauvre vie qui avait fuit.

Mon troisième sens chatouillé? Le touché
Les pompiers ont fait passé plusieurs cordes sous le corps pour pouvoir le soulever et le mettre dans le bateau. Mais le corps était si désarticulé et si gonflé qu'il a fallu cesser rapidement cette technique. Il ne fallait pas que le corps se perce ou pire, éclate, au risque de devoir récupérer les morceaux. Il était déjà assez abîmé, on allait pas encore en plus dégueulasser la flotte...
Alors ils ont utilisé une grande planche en bois pour pouvoir mettre le corps dessus et le transporter sur le quai. C'est là que nous avons été mis à contribution. Il fallait du monde pour soulever la planche et la garder stable afin de la mettre sur le bateau. J'ai mis immédiatement la main à la pâte sans trop savoir pourquoi. Peut être pour faire comme tout le monde et prouver que je n'étais pas une fille mais un vrai flic. Je me suis retrouvée dans le bateau, à tenter de récupérer dans l'eau froide un coin de planche, tout en m'efforçant à ne pas penser que mes mains touchaient une eau dans laquelle a séjourné un corps de femme bouffé par les poissons. Je sentais cette planche qui devenait poisseuse au contact de ce corps et je m'applaudissais intérieurement car je ne ressentait encore aucune envie de vomir. Mais quand même, les mains dans cette flotte puante, c'était pas cool.

Et enfin, l'odorat...
Oh putain! L'odeur...
Ce corps sans vie, gonflé de gaz, en putréfaction, ayant séjourné 6 mois dans la flotte, à moitié bouffé par les poissons... Ce corps est devenu noir en quelques secondes, noir comme le charbon, rendant toute identification impossible, noir noir noir. Cette femme était blanche dans l'eau, elle est devenue noire à l'air libre. Je me suis retrouvée bloquée au fond du bateau, rendant toute tentative de regagner la berge acrobatique en raison de ce corps noir qu'il m'aurait fallu enjamber. Pis les collègues se sont donnés un malin plaisir à me souhaiter bonne route, me disant qu'ils allaient me récupérer sur le quai, tout en se fendant la gueule de leur bonne blague. Nous étions trois nanas sur ce bateau. Moi aussi ça m'avait fait rigoler... Pas longtemps...
Je regardais cette transformation, ce passage du blanc au noir, tout en me disant que c'était quelque chose d'incroyable. Puis, une des deux filles pompiers est devenue verte et s'est couvert le nez. Le corps avait perce, et une violente odeur de putréfaction, une odeur que nul ne peut imaginer, l'odeur d'un corps humain en décomposition, une putain d'odeur que vous n'oublierez jamais une fois l'avoir senti, a asphyxié l'air environnant. A cet instant, je me suis remerciée moi même de n'avoir pas été trop con et d'être resté sur l'avant du bateau, contre le vent.
Arrivés sur le quai, il a fallu décharger ce corps qui sentait la mort, et je me suis enfuie dès que j'ai pu, aussi loin que le professionnalisme me le permettait. Me suis tirée retenant tant que je pouvais cette putain d'envie de gerber, et fière de moi, j'ai réussi, contrairement aux deux filles pompiers qui ont vomi leurs tripes sur le quai, sous les moqueries de leurs collègues.
Cette odeur est indescriptible. Je la reconnais aujourd'hui entre toutes. Je recherche toujours cette odeur quand je vais sur une ouverture de porte, histoire de savoir si un macchabée m'attend derrière.

Mes collègues m'ont taquinée, me disant que je sentais le macchabée. Moi, j'étais fière car j'avais retenu mon p'tit dèj'. Quand nous sommes rentrés au poste, j'ai sauté dans la douche, j'ai mis ma tenue dans un sac poubelle afin de la ramener chez moi et la laver, et je me suis rendue sur le parking. Je suis montée dans ma voiture, et une fois assise, j'ai eu l'impression que le poids du monde s'écrasait sur mes épaules. J'étais seule, dans ma caisse, les épaules lourdes, une odeur horrible incrustée dans mes poils de nez, réalisant à quel point nous ne sommes rien...
Je sais pourquoi les collègues riaient. Ce n'était pas par manque de respect, c'était pour ne pas avoir à pleurer, à ressentir de dégoût et à vomir.

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Commentaires
S
rien à dire mais...wahou !
F
Oh, mon Dieu... C'est tout ce qu'il me vient à l'esprit, en même temps qu'un sale goût dans la bouche.<br /> Quel métier de fou, tu fais...
N
C'est déjà très difficile à lire, puisque l'imagination se rajoute à tes mots... alors à vivre, je ne peux que supposer l'horreur que c'est !! il est clair que pendant l'intervention, tu as intérêt à prendre un max de recul en plaisantant le plus grassement possible pour ne pas te laisser à penser à l'être humain qui est devant toi...
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