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Just A Flic
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9 mai 2008

Avis à Famille

Il y en a trois sortes: celui qui annonce par téléphone que le parent ou l'employé a été victime d'un petit accident mais qu'il n'y a rien de grave, celui qui annonce que le parent est transporté à l'hôpital et qui demande explication du pourquoi du comment en faisant en sorte de ne pas angoisser l'interlocuteur, et celui qui est pire que tout, qui fait couler les larmes d'un père, qui fait hurler de douleur une mère, celui qui transforme une épouse comblée et ses enfants de l'amour en veuve et orphelins, celui qui annonce que tout est fini.
C'est bien le "devoir" qui me rebute le plus. Je déteste les avis à famille. Je hais les avis à famille. Je préfère partir en courant que de faire ses maudits avis à famille. Quand je suis au téléphone, la première chose que je dis juste après "Commissariat de Police", c'est "rien de grave ne vous inquiétez pas". Et je remercie le Bon Dieu de me permettre de dire la vérité, jusqu'au jour où mon âme connaîtra à nouveau la morsure du mensonge.

Il était 06h05 exactement. Un jeune homme a pris sa moto après s'être disputé avec sa copine, juste comme ça pour s'aérer la tête. Il portait un caleçon et un t-shirt, une paire de baskets et son casque. Il devait vraiment être en colère. Il est arrivé super vite sur la commune de MartineLand, mais il ne devait pas connaître les nouveaux aménagements qui avaient été effectués dans l'entrée de la ville pour justement ralentir la circulation. Sa roue avant a percuté l'îlot central. Il a été projeté en avant. Il a percuté le panneau signalétique de la ville qui se trouvait en hauteur. La Mort 1 - Le motard 0: il est décédé sur le coup.
Je passe toutes les formalités police sur les lieux. Mon officier sur place a demandé à ce que la famille se présente au commissariat. J'ai trouvé dans les pages blanches un nom et une adresse, et j'ai envoyé les fonctionnaires locaux sur place. Ils n'ont rien osé dire en la sachant seule au domicile, laissant la pénible tâche au service demandeur. Ils ont juste demandé à la maman de rappeler mon commissariat. Quand j'ai reçu l'appel de cette mère toute affolée, sa voix emplie d'angoisse et de sanglots, j'ai pris mon air le plus cordial et le plus rassurant. Je lui ai dit "ne vous inquiétez pas Madame, il n'y a rien de grave! (MENTEUSE MENTEUSE MENTEUSE) Votre fils a juste eu un petit accident (MENTEUSE MENTEUSE MENTEUSE) Nous voulions juste vous voir pour vous faire signer deux trois papiers, vous expliquer tout ça. Rassurer vous! (MENTEUSE MENTEUSE MENTEUSE) " Elle m'a promis de venir avec une voisine.
Ce n'est qu'en raccrochant que j'ai compris que je venais de commettre l'une des plus grossières erreurs de ma vie. Cette maman allait emprunter la même route que son fils, et allait par conséquent passer juste devant les lieux de l'accident. Ça n'a pas manqué: ce sont mes collègues intervenants qui lui ont annoncé sur place que son fils était décédé.

Sa mère s'est suicidée en se jetant sous un train. Un suicide, c'est rarement propre, mais un qui m'affecte particulièrement, c'est bien celui ci, pour tout un tas de raisons que j'évoquerais certainement plus tard. On ne parvenait pas à trouver cette jeune fille qui venait de perdre sa maman mais qui ne le savait pas encore. Elle s'est présentée d'elle même au commissariat, parce qu'elle n'avait pas de nouvelles de sa mère. Elle a accepté de s'asseoir, a refusé le verre d'eau, nous a regardé avec des yeux plein d'inquiétude quand elle a remarqué que notre attitude était bizarre, n'a pas écouté ce que l'officier lui a dit, m'a regardée dans les yeux et m'a demandé de répéter. J'ai encore en mémoire ce cri déchirant qui est sortit de son âme, cette violence qui a secoué son corps, cette difficulté que j'ai eu à la retenir pour ne pas qu'elle se jette par la fenêtre. J'ai encore en mémoire ces simples mots "Votre maman est décédée. Elle a mis fin à ces jours" et je ressent encore cette impossibilité de dire "elle s'est jetée sous le train", parce que cette jeune fille ne pouvait pas entendre ça maintenant.

Comment voulez vous retenir vos larmes devant tant de détresse? Comment pouvez vous rester de marbre après avoir déclaré le plus dignement possible, sans tourner autour du pot puisque la famille mérite de connaître la vérité: "J'ai le regret de vous annoncer que votre fils/fille, père/mère, époux/épouse, est décédé dans un accident de voiture/ s'est suicidé par pendaison ou par arme à feu/ n'a pas survécu à l'agression dont il a été victime". Comment trouver les mots pour annoncer l'inacceptable, l'injustice, la violence de cette mort? Parvenons nous à accepter de dire des choses pareilles? Finissons nous par devenir des hommes de glaces, des flics sans coeur que plus rien n'affecte? Vais-je parvenir un jour à annoncer la mort sans m'émouvoir une seule seconde, à oublier leur visage et leurs cris?

Je déteste les avis à famille. Je hais ça plus que tout. Je remercie le Ciel quand je peux dire la vérité. Mais ma hantise, c'est d'entendre à nouveau cette voix intérieure qui répète MENTEUSE MENTEUSE MENTEUSE.

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Commentaires
S
Ca doit etre vraiment la partie la plus difficile de votre job...et j'espère que jamais tu n'annonceras ça sans sentiment...
N
C'est terrible, ce rôle là que vous avez.<br /> Et j'espère que jamais tu n'arriveras à annoncer ce genre de chose sans t'en émouvoir intérieurement sinon c'est une part de ton humanité que tu aurais perdu, non ?<br /> Mais ça, ça n'arrivera pas.
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